Dominik Döhler

Manger de la viande, mais sans tuer d’animaux, des nouveaux défis

July 16, 2019

Des chercheurs israéliens ont gagné des subventions internationales pour avoir conduit des travaux sur la viande cultivée en laboratoire et sur les substituts végétaux aux protéines animales

La Foodtech le nouveau cheval de bataille des scientifiques et des entrepreneurs  israéliens. Dans un pays où l’innovation est partie intégrante de la culture, ce secteur qui fait appel à toutes sortes de nouvelles technologies est désormais un enjeu majeur. Investisseurs, acteurs publics, financiers étrangers, industriels flairant son énorme potentiel ont lancé des programmes de financement de dizaines de millions de dollars

La culture de viande en laboratoire aussi dénommée « clean meat » et la recherche sur des alternatives végétales à la viande avec notamment des études sur le quinoa, sont deux des grands axes de la Foodtech en Israël.

Depuis quelque temps maintenant des start-up israéliennes et des scientifiques se sont lancés dans le développement de la culture de viande en laboratoire et sont devenus des pionniers dans ce domaine, emboitant le pas aux Américains. Outre les Etats-Unis, Israël est un des rares pays qui disposent de plusieurs sociétés travaillant dans ce secteur et reconnues internationalement. Future Meat Technologies, SuperMeat, et Aleph Farms en font partie et mènent des travaux pour créer de la viande de laboratoire en combinant des nouveaux processus technologiques.

Le succès de ces sociétés ne s’est pas fait attendre et a d’ores et déjà aiguisé l’appétit de géants de l’agroalimentaire américain. Ainsi récemment le troisième producteur de viande américain Cargill a investi près de 12 millions de dollars dans Aleph Farms et Tyson le deuxième plus important producteur de viande aux Etats-Unis a financé des recherches dans Future Meat Technologies et investi quelques millions de dollars. L’an dernier , Future Meat Technologies et SuperMeat ont aussi levé respectivement 2,2 et 3 millions de dollars de fonds et noué un partenariat avec la Chine de 300 millions de dollars pour y importer de viande élevée en laboratoire provenant d’Israël.

L’idée au départ parait simple :  il s’agit de prélever des cellules souches sur des bovins ou des volailles et de les faire se développer en dehors de l’animal, dans un laboratoire, en leur apportant tous les nutriments nécessaires. Mais les défis technologiques sont énormes car le processus de culture est très couteux et très lent. Il s’agit avant tout d’utiliser des techniques d’ingénierie tissulaire, pour reproduire les muscles, les cellules sanguines…

Une équipe de chercheurs israéliens conduite par le Professeur Marcelle Machluf, doyenne de la faculté de biotechnologie et du génie alimentaire au Technion, avec le professeur Ayelet Fishman, le docteur Maya Davidovich-Pinhas , étudie la manière d’améliorer ce processus de production de viande en laboratoire à partir de cellules animales. Pour ces travaux l’équipe a gagné une subvention octroyée par « the Good Food Institute », une ONG américaine qui encourage par des dons, les projets les plus innovateurs de substitution de la viande.

Les processus existent déjà mais « nous cherchons à les améliorer, à les rendre plus efficaces. Le problème de la viande cultivée en laboratoire est que les cellules vivantes ont besoin de beaucoup d’énergie pour survivre en dehors de leur milieu naturel et leur culture est très chère”, explique Marcelle Machluf. Il est nécessaire d’accroître les rendements des cultures de cellules souches en utilisant des incubateurs géants pour synthétiser une viande comestible, intéressante pour son goût et sa qualité nutritionnelle.

« La viande de laboratoire est considérée comme étant une des solutions à la crise alimentaire qui se profile avec l’augmentation de la population mondiale en offrant des qualités nutritionnelles équivalentes à celle de la viande conventionnelle sans ses méfaits sur le bien-être animal et sur l’environnement », ajoute le professeur Machluf. “Développer un processus efficace pour répondre aux défis techniques dans ce domaine est crucial pour l’Humanité », souligne-t-elle.

Les partisans de la clean meat font valoir qu’elle peut changer durablement le système de production de la viande en évitant d’élever et de tuer des animaux. Pas moins de 60 milliards d’animaux ont été tués dans le monde pour leur viande en 2016, et ce chiffre devrait quasi doubler en 2050, selon la FAO pour atteindre 110 milliards de bêtes tuées. Rien qu’en France quelque 3 millions sont abattues chaque année.

La production de viande en laboratoire permettrait justement de réduire considérablement ces chiffres. L’autre intérêt majeur est de réduire l’impact sur l’environnement de la filière viande une des plus consommatrices d’énergie. Moins de production de viande signifie limiter les émissions de gaz à effets de serre, réduire l’utilisation des ressources naturelles tout en évitant de faire souffrir des animaux et en nourrissant une population de plus en plus nombreuse et gourmande en protéines.

Mais la viande de laboratoire n’est pas l’unique solution pour réduire la consommation de viande. Loin de là. L’autre possibilité est de développer des alternatives végétales à la viande. Un secteur également en pleine expansion ou le know-how des Israéliens, innovateurs dans l’agriculture et dans les nouvelles technologies, leur permet d’être à la pointe.

Photo by Lucas Vasques on Unsplash

La capitale mondiale du véganisme.

Pourquoi Israël est si impliquée dans ce secteur ? Certes l’esprit d’innovation, d’entreprenariat des Israéliens tout comme leur place de leader dans la high tech n’est plus à démontrer, mais il y a un autre élément déterminant, à savoir le développement du véganisme en Israël. En Israël on compte environ 5% de la population qui se définit comme végétarien, 8% comme végan (contre 5% en France), et 13% comme végans ou végétariens, soit parmi les taux les plus élevés au monde. Ces données datent de 2015 et le phénomène ne cesse de croître depuis. Des explications propres au pays et au judaïsme existent comme le refus de la cruauté envers les animaux, une sensibilité plus développée envers la vie d’autrui donc animale, un moyen de contrebalancer la violence ambiante qui règne dans ce pays traumatisé par le conflit israélo palestinien, ou encore les règles alimentaires de la cacheroute qui restreignent la consommation d’animaux…. Les explications sont nombreuses mais les faits sont là et sont frappants. Pour un végan vivre ou séjourner à Tel Aviv c’est le rêve. Tel Aviv est souvent cité comme une des capitales au monde où les restaurants et les commerces végans sont les plus nombreux  avec pas moins de 500 restaurants pratiquant le véganisme (les capitales véganes).

Mais il ne faut pas toutefois extrapoler et considérer que la viande est en passe de disparaitre dans ce pays. Manger de la viande reste un produit prisé, encore au centre des menus de nombreux restaurants et toujours fêtée sur les tables familiales.

Selon l’OCDE, la consommation annuelle de viande dans l’Union européenne est de 64,9 kg par an et par habitant. Le plus gros consommateur de viande est l’Australie avec 90,3 kg de viande par habitant; les États-Unis arrivent deuxième avec 90,1 kg; l’Argentine arrive en troisième position avec une moyenne de 86,6 kg par habitant; Israël est quatrième avec une moyenne annuelle de 86,1 kilogrammes et le Brésil se classe cinquième avec une moyenne de 78 kg par habitant. Pourquoi Israël est en tête de liste mondiale ? en raison de son importante consommation de volailles. Les Israéliens sont ceux qui ont consommé le plus de poulet au monde en 2015, soit 57,7 kg par personne, arrivant donc devant les États-Unis (47,6 kg). En France la consommation de viande tout confondue s’élève à 87,5 kg dont 29,7 kg de volailles.

 

Une industrie désignée comme ultra polluante

Depuis le début des années 2000 une prise de conscience mondiale s’est développée, notamment avec la publication du rapport de l’ONU “Livestock’s Long Shadow” , « L’élevage des bovins est une menace pour l’environnement » en 2006, lorsque a été exposé le rôle indéniable et néfaste de l’industrie de la viande sur l’environnement.  Ces méfaits sur l’environnement ne font plus aucun doute reconnaissent tous les experts qui soulignent que cette industrie pollue notamment les nappes phréatiques, contribue à la résistance de souches de bactéries en raison de l’utilisation excessive d’antibiotiques….

La production de viande se traduit également par le phénomène de déforestation, et par la transformation de terres encore vierges en champs de culture pour notamment nourrir le bétail. Tout ceci a évidemment un impact majeur sur la biodiversité et contribue à l’extinction de certaines espèces. Le commerce de la viande a également pour conséquence de développer de nouveaux moyens de transport pour livrer cette production et de créer des circuits de distribution qui consomment bien souvent d’énormes quantité d’énergie. Il faut également mentionner que la souffrance des animaux et leur traitement dans les élevages est un autre aspect qui pèse sur l’industrie de la viande et contribue à la prise de conscience anti-viande.  Le transport du bétail, les méthodes employées pour tuer, la séparation des veaux de leur mère, sont devenus des sujets d’indignations dans le monde entier.

Le quinoa un plante miracle pour se substituer aux protéines animales ?

La recherche sur les substituts végétaux est un autre axe de développement de la Foodtech en Israël. C’est du moins le pari qu’ont fait des chercheurs israéliens et pour lequel ils ont également été récompensés en recevant une subvention de the Good Food institute qui s’intéresse aussi aux alternatives végétales aux protéines animales.

Les deux chercheurs de cette équipe appartiennent à des domaines différents. Le Dr. Ofir Benjamin, responsable du département nutrition à l’université Tel-Hai a conduit ces travaux avec le Dr. Lior Rabinowitz du département de recherche et de développement en Galilée (nord d’Israël). Tous deux ont étudié l’utilisation des protéines de quinoa comme une alternative végétale au bœuf. Le quinoa appelé aussi « riz des Incas » est originaire de Bolivie. Il se consomme comme une céréale mais fait partie de la famille des plantes herbacées. Il est considéré comme un « superaliment » car doté de diverses caractéristiques nutritives qui sont privilégiés par les végétariens dont le fer, le zinc et la vitamine B. De plus le quinoa est riche en protéines végétales (15%) de haute qualité et sa composition en acides aminés est plus équilibrée que celles des autres céréales courantes. Par ailleurs il est sans gluten.

Cette plante est résistante et survit dans des conditions climatiques difficiles. “La production moyenne au niveau mondial est comprise entre 2,5 à 3,5 tonnes par hectare et par an. Sur les trois dernières années nous avons mené des expérimentations très satisfaisantes pour faire pousser du quinoa sur le plateau du Golan.  « Nous pensons que le quinoa peut être considéré comme une culture qui correspond aux critères du développement durable », explique Dr. Benjamin.

“Dans le cadre de nos expériences nous proposons de développer le quinoa et d’évaluer sa capacité à devenir un substitut à la viande, compte tenu de sa haute teneur en protéines naturelles et sa qualité nutritionnelle. Il peut s’agir sans aucun doute d’un aliment à haute valeur ajoutée et dont l’impact commercial est énorme », poursuit-il.

Dans l’étude « nous allons utiliser différentes sortes de quinoa toutes avec d’importantes valeurs protéiniques et nutritionnelles et allons récolter les graines, selon plusieurs méthodes pour conserver le maximum de contenus protéiniques. Un quinoa normal contient environ 4 à 5%, de protéines et après extraction ce taux peut atteindre 60 à 70%. Notre objectif est de créer un aliment végétal dont la texture, le goût et la couleur puissent s’apparenter à la sensation que nous avons quand nous mangeons de la viande. Trouver des substituts végétaux à la viande est un élément clé dans la protection de l’environnement, la survie de l’Humanité tout en donnant à chacun le choix de sa consommation », conclut Ofir Benjamin.

 Le marché de la clean meat évalué à 46 milliards de dollars, mais semé d’embûches

Le marché de la viande représentait en 2016, 714 milliards de dollars, et devrait atteindre 1500 milliards de dollars en 2022. Un secteur économique clé et qui pour le moment a réussi à faire face à tous les défis (la crise de la vache folle, les craintes sur l’environnement, sur la santé…). En 2050 on estime que la consommation de viande va conduire à 1600 milliards de dollars de coûts sur la santé des humains

Face à ce marché gigantesque qui brasse des milliards, le secteur des produits de substitution à la viande a un long chemin à parcourir qui sera semé d’embuches. Selon différentes évaluations il est déjà évalué à 46 milliards de dollars et devrait générer  6,8 milliards de dollars de recettes en 2020 (derniers chiffres).

Cet article de ZAVIT a également été publié dans JForum.fr le 15/08/2019.


       







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