« Comment allons-nous nourrir 9 milliards d’habitants en période de changement climatique » ? Ainsi a été intitulée une conférence scientifique qui s’est déroulée récemment en Israël, organisée par le département de développement durable du collège IDC à HerzIiya et par le comité pour la sécurité alimentaire de l’université de Tel Aviv. Dans le monde entier les agriculteurs, les industries agroalimentaires, les politiques, les experts … se posent cette question avec d’autant plus d’acuité que les changements climatiques s’accélèrent. Les défis sont de plus en plus nombreux : conditions climatiques difficiles, pollution des sols, disparition des surfaces cultivables au profit de l’urbanisation, … alors que parallèlement la demande progresse.
Les pénuries alimentaires vont s’intensifier avec les effets de la désertification du fait de la dégradation de la qualité des terres combinés aux changements et désastres climatiques. Israël se situe dans une zone fortement concernée par ces phénomènes et peut ainsi être considéré comme un terrain de laboratoire pour constater les impacts des changements climatiques sur l’agriculture.
Les 15 dernières années en Israël ont été les plus chaudes depuis que les statistiques nationales existent, souligne Avner Forshpan, directeur du département du changement climatique au centre de météorologie nationale. Les précipitations, notamment au printemps, ont fortement diminué. Et même si une baisse des pluies avait déjà été constatée dans les années 1920 et 1930 quand le Moyen-Orient a connu des périodes de grande sècheresse, le phénomène s’est notablement intensifié cette dernière décennie et se reflète dans les données météorologiques. « Les vagues de chaleur qui durent plus de trois jours sont nettement plus fréquentes désormais », ajoute-t-il.
L’agriculture est particulièrement sensible aux variations de température et le seuil de 30 degrés est critique. Quand il est dépassé, les effets sur la quantité et la qualité des cultures sont immédiatement visibles.
Le succès de l’agriculture en Israël
“Israël est une terre d’innovation dans le domaine de l’agriculture et des techniques agricoles du fait de son histoire, de ses caractéristiques, de ses besoins et des défis auxquels il a été confronté depuis sa création », explique Alon Ben-Gal, expert au centre de recherche agricole de Gilat.
A titre d’exemple c’est en Israël que la technologie du goutte-à-goutte dans l’irrigation a été développée. Les entreprises israéliennes détiennent 30% du marché mondial et récemment un pionner du secteur, l’entreprise Netafim créée dans un kibboutz a été rachetée par une multinationale mexicaine.
En Israël, le goutte-à goutte dans l’irrigation est pratiquée sur 80% des terres cultivées alors que dans les autres parties du monde ce système est utilisée seulement sur 25% des surfaces agricoles, le reste des champs étant irrigué par aspersion. “L’avantage du goutte-à-goutte est que vous pouvez arroser fréquemment et de manière efficace et personnalisée en fonction des besoins. Alors que la méthode traditionnelle d’arrosage des champs consiste à arroser seulement une fois tous les quelques jours », poursuit-il.
Dans la méthode classique il faut arroser et fertiliser, soit deux processus différents alors que la technique de la micro-irrigation permet de procéder aux deux opérations en même temps. C’est un moyen efficace pour réduire la consommation d’eau, notamment dans les pays arides où les agriculteurs ont bien souvent recours à des eaux saumâtres ou plus salées que l’eau potable. L’inconvénient de l’utilisation de ces eaux de mauvaise qualité est qu’à force d’être répandues dans les champs elles entraînent une salinisation des terres agricoles et créent des dommages aux cultures.
La FAO a fait remarquer que la salinisation excessive des terres cultivables est un grave problème qui affecte environ 20 % des zones irriguées dans le monde
Cultiver sur des terres appauvries
Avec un produit intérieur brut agricole d’environ 857 millions d’euros par an entre 2000 et 2018, Israël est devenu un pays leader dans la technologie agricole. Pour autant l’Etat hébreu n’est pas auto-suffisant en terme alimentaire, toujours impacté par un climat aride et la taille réduite de ses surfaces agricoles. Ses importations ont représenté quelque 5,4 milliards d’euros en 2017.
Mais Israël réussit à compenser son manque de terres arables par un rendement agricole élevé grâce à ses équipements et techniques sophistiqués. Pour la seule année 2016, 204 entreprises israéliennes ont exporté pour 8 milliards d’euros en équipement agricole avec notamment la vente de processus d’irrigation, de matériel pour accroitre la production des élevages de volailles, améliorer la production laitière et mieux gérer la fertilisation.
Pour devenir un leader dans le domaine de l’innovation agricole, des startups se sont attachées à relever le défi de l’aridité des sols et ont multiplié les innovations.
Le potentiel de l’Agritech se reflète par les importants moyens financiers investis dans ce domaine très prometteur. 1,3 milliard d’euros ont été investis dans l’Agritech dans le monde en 2017, dont 164 millions d’euros rien que dans des entreprises israéliennes. Nombreuses de ces sociétés ont développé des méthodes révolutionnaires pour améliorer le rendement des cultures et leur résistance en terrain hostile.
Salicrop, ou comment lutter contre la salinisation des terres, a par exemple mis au point une technique de traitement de semences permettant aux cultures de résister et croitre malgré l’excès de sels dans les sols et les eaux saumâtres dans lesquelles elles baignent.
“Le sel dans la terre empêche l’absorption de l’eau et détruit également les plantes. La résistance au sel est différente pour chaque plante et si le seuil de tolérance est dépassé alors des dommages apparaissent. Salicrop a imaginé un traitement chimique dans lequel la graine de la plante est trempée dans une solution spéciale. Par la suite les semences ainsi traités sont asséchées et utilisés par les agriculteurs pour être semés même dans une terre trop saline », explique Dotan Burstein, directeur de Salicrop.
« Ce processus a déjà fait ses preuves dans des champs de maïs, de riz, de blé, de tomates, poivrons et épinards, malgré la salinité des terres», ajoute Burstein estimant que le rendement de ces cultures « pourrait même progresser de 70% ». La société a expérimenté ce traitement en Inde dans des champs à proximité de marais salants. “Avec cette technique nous avons observé une hausse de 32% du volume des récoltes et de 63% en terme de croissance de la plante », précise-t-il.
Une autre startup israélienne PlantArcBio travaille sur les gènes des plantes pour leur permettre de résister aux terres arides du désert et aux fortes chaleurs. Pour ce faire la société a identifié des gènes qui se trouvent dans des plantes désertiques, les a sélectionnés pour les réinjecter dans des plantes que l’on souhaite faire pousser dans des milieux arides. Grâce à l’incorporation de ces gènes habitués à résister au terrain et fortes chaleurs des déserts, les plantes génétiquement modifiés pourront ainsi mieux s’acclimater à ces milieux difficiles. « En transférant certains de ces gènes dans des plants de tabac par exemple, nous avons été capables de doubler la taille des plantes », a expliqué Shalitin.
La société de biotechnologie a levé 2,64 millions d’euros auprès d’investisseurs privés et a noué une collaboration avec l’université de Wisconsin-Madison pour des tests sur des cultures de soja. Selon le Docteur Dror Shalitin, fondateur et PDG de PlantArcBio, les conditions arides peuvent facilement endommager la qualité du rendement. Une augmentation de 4 degrès, par exemple peut détruire 50% la totalité de la récolte de maïs aux Etats-Unis, fait-il remarquer.
Une autre startup Taranis a conçu un système innovant qui permet, grâce à des technologies sophistiquées utilisant l’intelligence artificielle, de décoder des images aériennes des champs, de contrôler en temps réel la progression des cultures. L’objectif est de déterminer quel est le meilleur moment et le meilleur emplacement pour vaporiser des engrais, des substances chimiques et éviter des dégâts, la propagation de maladies, prévenir l’impact des modifications climatiques. Cette société a levé 26,5 millions d’euros depuis sa création en 2014 notamment par des initiatives conjointes américaines et israéliennes. Tamaris a commercialisé ses systèmes de contrôle à de nombreuses exploitations agricoles aux quatre coins du monde comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, l’Argentine, la Russie, l’Ukraine et l’Australie.
Il est évident que la croissance de la population mondiale et le défi de nourrir tous les habitants de la planète va requérir des contributions de tous les secteurs de l’agriculture comme l’irrigation, la génétique, la science végétale, la chimie… Les technologies développées dans ces domaines aident l’agriculture bien sûr et également la science dans son ensemble. `
.Mais il ne faut pas perdre de vue que ces technologies, aussi audacieuses soient-elles, traitent avant tout les symptômes d’un problème bien plus complexe. Pour réduire l’impact du changement climatique, il est impératif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre non pas grâce à des innovations technologiques mais par une réforme complète de la politique environnementale de tous les pays et par une prise de conscience des populations qui doit se traduire par des changements d’habitudes de consommation.
Cet article de ZAVIT a également été publié dans IsraelValley le 18/09/2019.