Dominik Döhler

Yom Kippour en Israël : sans voiture, la pollution chute

October 6, 2019

Une fois par an, Israël vit une journée exceptionnelle avec Yom Kippour, jour du Grand Pardon. Le pays est à l’arrêt : aucune circulation automobile, aéroports fermés, usines et commerces baissent le rideau, ... Une expérience unique au monde qui se traduit par une chute drastique de la pollution de l’air

Le jour de Yom Kippour est le plus solennel du calendrier juif et clôt la période des jours de Repentance. Entre la tombée de la nuit et les premières étoiles dans le ciel le lendemain, le pays est figé.  Laïques et religieux respectent ce jour sacré, la plupart d’entre eux sont plongés dans la réflexion, demandent pardon pour les fautes commises, prient, passent leur journée à la synagogue, jeunent, s’abstiennent de toute activité….  Les aéroports sont fermés, aucune compagnie étrangère ne peut ni décoller ni atterrir, les transports publics sont paralysés, aucune voiture ne circule, radios et télévisions sont muettes.

Dans les villes le silence est impressionnant, perturbé uniquement par les rires des enfants qui s’en donnent à cœur joie à bicyclette, dans les rues désertées par les voitures.

L’autre aspect de ce jour exceptionnel n’est pas visible à l’œil nu mais il est pourtant essentiel : la pollution s’est quasi évaporée.  Israël devient ainsi un excellent exemple de ce que signifie un jour sans trafic automobile, sans production industrielle et son impact sur la qualité de l’air. Les chiffres sont là pour en témoigner.

Ce jour sacré revêt ainsi une dimension écologique et révèle, chaque année davantage, la nécessité d’agir pour limiter le cycle infernal de la pollution liée à la circulation automobile

À Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa et dans les agglomérations qui les entourent, la pollution aux oxydes d’azote, émis par les véhicules, a baissé en 2018 lors de journée de Kippour de façon drastique pour s’établir entre 4 et 3 ppm (partie par milliard de volume d’air), selon des statistiques officielles fournies par le ministère de l’Environnement.  Avant Kippour, les niveaux d’oxydes d’azote s’établissaient à 63 ppm à Tel Aviv, 181 ppm à Haïfa tout comme à Jérusalem , soit une recul très significatif de près de 95% de ces émissions polluantes. En 2017 ce gaz est même tombé à zéro dans certaines zones peu urbanisées de Jérusalem.

Kippour, une dimension écologique

“Le dioxyde d’azote est un des gaz responsable des affections respiratoires et de la baisse de la résistance immunologique”, explique Inbar Blum, chef de projet pour les transports durables au sein du  Ministère de la Protection de l’Environnement (MoEP).

L’émission d’un autre gaz dangereux, le benzène, un cancérogène avéré et provoquant notamment des leucémies, chute également. Mais il est impossible de mesurer l’impact de ce jour sans voiture ni industrie sur son émission car ses particules restent en suspens dans l’atmosphère pendant 10 jours. Toutefois il incontestable que le niveau de benzène responsable, selon des études épidémiologiques de la mort de 2000 personnes chaque année en Israël, baisse à Kippour, souligne le ministère.

L’amélioration significative de la qualité de l’air pendant Yom Kippour prouve, s’il en était encore besoin, que les transports, sont la principale source de pollution de l’air dans les grandes villes et qu’il faut agir pour limiter cette nuisance.

Cette constatation n’est pas une découverte et les risques sur l’environnement et sur les individus de la pollution automobile est un sujet de préoccupation majeur partout dans le monde. En Israël comme ailleurs les gouvernements luttent pour freiner la circulation automobile ou du moins limiter ses effets nocifs en appliquant diverses mesures :  développement des infrastructures de transports collectifs, incitation à l’usage de bicyclettes, subventions pour l’achat de véhicules électriques… . En Israël la congestion automobile est un sujet crucial car le pays souffre d’un manque criant d’infrastructure de transport collectif et le réseau ferroviaire est insuffisamment développé.

Selon un récent rapport de l’OCDE, Israël a le triste privilège de faire partie des pays les plus congestionnés en terme de circulation automobile (3,5 fois plus que la moyenne des autres pays). Le manque  de transports collectifs, de réseaux autoroutiers créé des embouteillages monstres et les Israéliens sont, parmi les habitants de l’OCDE, ceux qui passent le plus de temps dans les encombrements .

Photo by Jens Herrndorff on Unsplash

La chasse aux véhicules diesel

En attendant de développer les réseaux de transport, le ministère de l’Environnement a commencé à faire la guerre aux véhicules à moteur diesel, considérés comme les plus polluants.   Même si ces voitures diesel représentent uniquement 20% de la flotte automobile en Israël, la combustion de leurs moteurs contribue à 80% à la pollution de l’air liée au trafic automobile, souligne Inbar Blum.

“Au ministère de l’Environnement nous avons lancé de nombreuses initiatives pour réduire leurs effets nocifs dont la création de zones à circulation restreinte où les véhicules les plus polluants sont  interdits de circulation”, explique-t-elle.

Dans le centre-ville de Haïfa (nord d’Israël) ville industrielle très polluée, la municipalité a mis en place une telle zone en février 2018. Les camions diesel de plus de 3,5 tonnes non équipés de filtre à particules ne peuvent y pénétrer.  En janvier 2019 c’est toute une zone  résidentielle de la ville qui a été interdite aux voitures diesel. D’autres initiatives équivalentes vont être lancées prochainement dont une à Jérusalem. A partir de novembre, les camions diesel non équipés de filtre ne pourront plus circuler dans la ville.

Parallèlement, le gouvernement subventionne l’achat de filtre à particules. Depuis le 1er novembre 2018,  les propriétaires de véhicules diesel doivent installer ce dispositif, faute de quoi ils ne peuvent pas renouveler leur permis de conduire.

Ceux qui refusent d’équiper leur voiture de ce filtre doivent apposer sur leur pare-brise un sticker rouge qui non seulement leur interdira de se rendre dans certaines zones mais qui également les désignera aux yeux de tous et notamment dans leur voisinage comme des citoyens non respectueux de l’environnement, non responsables. “Un stigmate psychologique qui devrait les inciter à se conformer aux régulations”, souligne Blum.

Ces mesures font partie du projet pour rendre la voiture plus propre  (Clean Car Revolution), lancé en 2016 par le ministère de l’Environnement et le fonds national juif , avec l’objectif de “réduire la dangereuse pollution liée à la circulation automobile”.

Dans le cadre de cet ambitieux programme il est prévu d’encourager l’achat de véhicules moins polluants, d’autobus électriques, de taxis hybrides et de mettre en place un système de co voiturage de voitures électrique. En août  2018, le ministère de l’Environnement a ainsi subventionné un programme pour inciter les conducteurs de taxis à acquérir des véhicules hybrides en échange d’une aide financière allant jusqu’à 5.100 euros.

Des efforts parallèles sont menés en direction des transports publics.  “67 autobus électriques sont déjà en service dans le pays et tout récemment  10 nouveaux bus électriques  circulent  à Jérusalem”, précise Inbar Blum.

“A Haïfa nous avons introduit des véhicules électriques et prochainement des taxis hybrides vont faire leur apparition. Ces efforts commencent à payer puisque nous avons constaté une diminution de 10% des émissions de gaz polluants entre 2017-2018, dans la ville”, souligne-t-elle.

“Chaque jour nous devons avoir la même qualité d’air »

“Notre objectif :  respirer chaque jour le même air pur que celui lors de la journée de Kippour » , résume-t-elle.

Un projet ambitieux partagé par Yotam Avizohar, le responsable de la fédération cycliste en Israël.  “Ce qui se passe à Kippour quand des dizaines de milliers d’Israéliens abandonnent leur voiture pour enfourcher leur vélo ou marcher doit se reproduire et non pas uniquement pour respirer un air plus pur mais aussi pour améliorer notre qualité de vie en général”,  souligne la Fédération.

La dépendance à la voiture, le temps perdu dans les embouteillages ruinent notre vie. Cette situation est devenue tellement intenable qu’elle va certainement provoquer un déclic, espère-t-il. “De plus en plus de personnes commencent d’ailleurs  à prendre conscience de l’intérêt d’enfourcher une bicyclette et d’utiliser ce mode de transport en zone urbaine comme une véritable alternative à la voiture “, ajoute-t-il.

Les ventes de vélos progressent selon le Bureau des statistiques “plus de 300.000 vélos sont achetés chaque année et on compte quelque 230.000 bicyclettes électriques”.

Le vélo est une solution aux embouteillages urbains mais ce mode de transport est moins adapté hors des agglomérations. Le gouvernement œuvre aussi à l’amélioration des transports collectifs. Une nouvelle ligne ferroviaire a été ouverte la semaine dernière entre Tel Aviv et Jérusalem. Depuis 2011 des travaux gigantesques sont en cours à Tel Aviv et dans sa périphérie pour construire un réseau de transport en commun ferroviaire  (métro léger), quelques années après la mise en service du tramway de Jérusalem.

Shimrit Nothman, présidente du groupe de pression “15 minutes”, qui appelle les pouvoirs publics à améliorer les transports publics, demande des actions fortes  afin que les Israéliens puissent progressivement se libérer de leurs véhicules et profiter d’un réseau de transport collectif efficace.

“C’est indispensable pour améliorer la mobilité des habitants, la qualité de l’air, éviter les maladies liées à la pollution et le cauchemar des embouteillages. Le temps consacré aux déplacements en voiture a progressé de 30% depuis 2005, et plus de 90% des émissions de gaz carbonique proviennent de la combustion des moteurs automobiles.  Avec une infrastructure de transport collectif efficace cette situation peut être inversée. Un bus peut remplacer 40 véhicules et éviter que 184 tonnes métrique de gaz de carbone ne soient émis dans l’atmosphère chaque année. Nous devons nous assurer que notre gouvernement travaille dans cette direction”, indique-t-elle.

Quelles que soient les solutions adoptées pour améliorer la qualité de l’air, le jour de Kippour grâce à sa dimension écologique, plaide pour la nécessité d’agir vite et interpelle chaque année davantage la responsabilité des citoyens et des pouvoirs publics d’œuvrer en faveur de l’environnement.

Qui aurait pu penser qu’un jour solennel, immuable depuis la nuit des temps deviendra aussi un symbole pour le changement, et pour le progrès?

Cet article de ZAVIT a également été publié dans IsraelValley le 07/10/2019.


       







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